Clisthène le moralisateur

Clisthène le Jeune, âgé alors de 28 ans - il en a aujourd'hui 30- fils de Cléomène, citoyen athénien réputé et émérité des siens se balladait dans les rues d'Atènes lorsqu'il tomba ne à nez avec un jeune éphèbe, la vingtaine tout au plus qui sortait d'une maison de joies.

Un large sourire sur son visage , ce jeune homme s'en allait savourer se splaisirs autre part, ou peut-être allait-il narer ses aventures à quelques uns de ses amis ?

Toujours est-il que Clisthène le Jeune le reconnut comme un des fils d'un aristocrate en vue du moment, que l'on apercevait souvent à l'Ecclesia. Le jeune homme, en croisant son regard, baissa les yeux de honte, lui qui, joyeux d'avoir copulé avec une prostituée, s'en allait voir ailleurs. Mais Clisthène le rassura:

"N'aie crainte mon garçon, il est bon qu'un homme soulage certains de ses désirs. C'est sain."

Et Clisthène poursuivit son chemin à travers les allées athéniennes.

Le lendemain, il reprit le même chemin et recroisa ce jeune homme sortant de cette maison de passe. Et c'est une toute autre réaction qui attendit l'homme, une réaction sauvage et impétueuse de la part du jeune Clisthène:

"La dernière fois je pensais que tu ne faisais que passer par ici, que je n'y reverrais plus avant quelque temps, mais j'ignorais que tu habitais cet immonde endroit ! Mon garçon, ne confond pas une activité nécessaire de l'homme avec ce qu'un homme doit faire ! A l'avenir tu reverras tes occupations, honte sur toi si tu désobéis à cette recommendation !"

Et Clisthène laissa en plan le jeune homme, poursuivant son chemin d'un pas précipité. Frappé de stupeur, le jeune homme baissa la tête et rentra chez lui, l'air peunot.

Quelques pas plus loin, Solon, qui passait par là, étonné et curieux de savoir d'où vient cet éclat de voix moralisateur, aborde l'individu :

-Bonjour ! Je n'ai pas l'honneur de vous connaître...?

Reconnaissant tout de suite l'archonte éponyme, le salue avec respect et déférence:

Salut à toi archonte Solon ! C'est un honneur pour moi que d'echanger ces quelques paroles avec le premier magistrat de la cité !

Je suis Clisthène, dit le Jeune, fils de Cléomène et d'Agaristè. Le sang des Alcméonides, de par ma mère, coule dans mes veines et mon père m'a toujours éduqué à combattre farouchement les tyrans, où qu'il se trouve...

Ne perdant pas contenance:

Comme tu as pu le voir, ou m'entendre, je faisais une remontrance à ce jeune homme que tu vois s'éloigner là-bas, au loin. Hier je le trouvais ici-même, sortant tout heureux de cette maison de joie. Non que je l'en ai blâmé, au contraire, je l'ai encouragé dans sa démarche, car il est normal qu'un homme soulage les premiers de ses désirs, en cela il honore la vertu d'un bon citoyen ! Mais alors que je me promenais à nouveau dans la quartier, je l'ai à l'instant croisé sortant de nouveau de cette batisse !

Ce jeune homme, à cause de sa jeunesse et de l'esprit fougueux et indécis qui l'habitent, a confondu le plaisir avec le vice ! Abuser du plaisir et l'on entre dans le vice, qui donnera plus tard une voie toute tracée aux mauvaises moeurs qui imprègnent malheureusement la cité et les citoyens d'Athènes !

C'est en cela que je souhaite lutter, un retour aux bonnes moeurs, à celle de nos ancêtres et aïeux ! Ils ont, par la grâce des Dieux, construits de leur propre main Athènes et ses environs et ils doivent sûrement se retourner dans leur tombeau de nous voir diriger ainsi la cité ! Non que je critique ta politique, archonte éponyme, loin de là, je pense que tu as su ramené un peu de vertu dans l'âme pervertie de l'athénien... Mais comment expliquer les assassinats de Pirus et de Ptolémé, les combats incessants entre démagogues enflammés, entre les factions et hétairies, entre les Grecs eux-même alors qu'ils devraient s'unir pour combattre le Perse ? A cela je réponds qu'il faut condamner nos habitudes corrompues, nos moeurs actuelles et rétablir la loi archaïque, celle qui régissait la vie de nos parents et des leurs bien avant eux ! Combattre et interdire ce qui nous a fait dépérir, voilà le mot d'ordre du renouveau athénien ! Ce même renouveau qui nous fera vaincre de nos ennemis les plus opiniatres et qui fera la gloire des dieux protecteurs de la cité d'Athéna !

Silence, puis reprend:

Mais je m'égare, archonte, accepte mes excuses ! J'espère ne t'avoir pas importuné avec mes explications que je n'ai pas voulues hatives, afin de ne pas insulter l'interlocuteur que j'ai en face de moi !

Mais non, mais non, ce que tu dis est très intéressant...Un retour aux anciennes moeurs, c'est ça ? Mais pourrais-tu nous énoncer clairement quelles moeurs tu entends par là ? Rigueur, tempérance, obéissance, respect des anciens, honnêteté, c'est dans le genre, non ?

Oui et non. Tout d'abord, je pense aux devoirs de chacun des citoyens: protéger son foyer, honorer les dieux et servir avec zele sa cité.. Or je vois, sans rien pouvoir faire, les pauvres se lever contre les riches, le démos contre l'aristocratie, des démagogues contre d'autres démagogues... Des guerres sont déclarées et des paix sont signées ici et là, mais je doute que nous en sortions grandit ! Athènes est passé de la démocratie à la royauté, et de celle-ci à la démocratie, une fois de plus ! Cela est une bonne chose que le peuple ait retrouvé son honneur, et seul un homme vertueux peut diriger la destinée d'une cité. Mais oh combien de citoyens manquent de prestige et d'autorité pour gouverner ! Ils veulent à tout prix prendre une place qui n'est pas là leur, persuadé dans leur fort intérieur qu'ils peuvent briguer sans discontinué des postes qui ne leur revient pas... User de la violence pour arriver à ses fins, séduire le peuple à travers les richesses et des promesses, oublier scandaleusement que notre destinée appartient aux êtres divins, voilà ce pour quoi je m'évertue à combattre ! Les royalistes ne sont plus là, et pourtant les troubles continuent ! Le sang coule toujours à l'intérieur de l'enceintre sacrée de la cité !

Tu parlais d'obéissance, oui je suis d'accord, obéissance de la jeunesse, de la fleur du peuple, de cette masse de citoyens fougueux et courageux de par leur mépris de la peur et de la mort ! Combien de jeunes gens sont déjà morts, l'épée à la main, pour défendre ce pour quoi ils croyaient juste et bon ?! Et pourtant, combien de ces jeunes hommes ont-ils oublié qu'un stratège dirige une armée, qu'un ambassadeur est sacré et que l'autorité d'un prêtre est inviolable ! L'impiété va de pair avec le malheur qui nous accable ! Nous ne respectons plus nos aïeux ainsi que leurs préceptes, ainsi nous nous ramolissons, nous faisons moins bien la guerre et de là découle cette situation instable dans laquelle Athènes est baignée ! Les Dieux sacrés nous en tiennent rigueur et nous ne faisons que récolter ce que nous avons semer depuis des années... La calomnie est une bien dûre épreuve à subir pour devenir des hommes meilleurs !

Nous faisons tomber les tyrans des autres cités, mais nous sommes trop aveugles que pour voir qu'il en subsiste encore au sein même du peuple aimé des Dieux, le peuple athénien !

Il fut un temps où tout le peuple se rangeait derrière ses magistrats, d'un sentiment aveugle et unanime, persuadé qu'il fallait le faire, car les magistrats sont élus par le peuple et par la grâce des Dieux ! Les contredire serait un acte de folie et d'impiété, or qui se irsquerait à aller contre les signes des Dieux ? Qui oserait remettre en cause l'avis de Dieux tutélaires ? Impossible pour moi que de le concevoir, et pourtant la plupart des citoyens a oublié ce qu'est le respect de ses pairs, des plus âgés et de ceux possédant l'autorité nécessaire pour diriger. Que chaqucun reste à la place qui est la sienne, à l'aristocratie de commander le peuple, à lui de suivre les élus des Dieux, ceux-là même qui peuvent se targuer d'avoir des ancêtres depuis la fondation de la cité !

Réfléchit, pensif, puis reprend:

Délios avait sûrement assez d'aura et s'autorité pour renverser la tyrannie, mais il n'en a pas eu assez pour echapper à son destin ! Grand homme qu'il fut, mais tourmentée furent les raisons de sa mort ! Et je cherche encore un homme de sa trempe, un homme prêt à sacrifier ses richesses, sa vie et son honneur pour le salut de la cité ! Ecartons d'une main assurée les troubles et les défis que nous imposent les Dieux et nos ennemis et poursuivons notre route vers le rayonnemment de la Grèce !

Mais une Grèce unie et forte ne peut exister sans des grecs responsables de leur destin et unis dans l'adversité. Point de trahison entre eux, point de corruption par l'argent ou la promesse des honneurs, point de délation et de lâcheté, car la guerre contre les Perses n'a pas encore touchée à sa fin et de nombreux combats nous attendent là-bas !

Honneur et vertu, tels sont mes préceptes, noble archonte !

Et bien, tu devrais avoir du travail, si je ne me trompe...Comment comptes-tu t'y prendre ? Aurons-nous la chance de te voir à l'Ecclesia ?

A l'Ecclesia dis tu ? Si les Dieux me permettent de vivre jusqu'à demain, je serai présent ! Il n'y a que par la légalité et la force de la constitution que les athéniens pourront changer leur destin funeste que je leur prédis...

Quand à coment je m'y prendrai... j'inviterai tous les honnêtes citoyens à se rassembler dans les Assemblées que compte la ville: rassemblé et uni, le peuple se sera affranchi de la servitude des nombreux politiciens corrompus par le vice que compte Athènes !

Le dialogue et la philosophie remplaceront les cris et les poignards, je le jure au nom de mes ancêtres !

Sourit, montrant à Solon une multitude de dents blanches:

Après tout, j'ai toute la vie devant moi !

Il faut bien croire...Quel âge as-tu ?

J'ai 30 printemps, Solon.

Le bel âge...et puis-je aussi te demander ta profession ?

Bien entendu, Archonte. Je suis avocat de profession... disons que pour le moment, je me suis borné à défendre le cas de plusieurs de mes amis et de connaissances à mon père. Je tente, tant bien que mal, de mettre mes connaissances aux service de la cité.

C'est une belle initiative. Je pense que tu trouveras un oratoire tout prêt à t'écouter à l'Ecclesia. Mais pour ma part, je dois avouer que ton discours me laisse un peu dubitatif. Enfin, c'est le jeu du débat, et peut-être sauras-tu me convaincre plus tard !

Pensif:

C'est sûrement que tu ne portes pas aussi haut que moi la vertu et la dignitée de la cité... Mais je ne me permettrai pas d'en juger.

Permets moi de me retirer, Archonte, des affaires... pressantes m'attendent. Bonne journée à toi et à bientôt à l'Ecclesia.

Incline respectueusement la tête devant son ainé et premier magistrat de la cité puis se retire, poursuivant sa route.